Fiche de lecture : Made in Monde

Publié le par DA Six-Fours


01 septembre 2008 - 15:29

Made in Monde : les nouvelles frontières de l'économie mondiale, Suzanne Berger, Seuil, 356 p., 20 €
 
Suzanne Berger montre que la mondialisation ne nous vole pas notre liberté, pas plus qu'elle ne contraint les entreprises à converger vers un modèle unique où il serait nécessaire de délocaliser plus.
Fruit d'une enquête menée par des chercheurs du MIT auprès de plus de 500 entreprises, Made in monde souligne au contraire que les chemins de la réussite sont complexes et innombrables (vous trouverez, en bas de page, une analyse réalisée au premier trimestre 2006 par Désirs d'avenir sur la question de la "mondialisation-alibi" et qui mentionne également les travaux de Suzanne Berger).
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Promesses et dangers de la mondialisation
- L'auteure commence par dresser un constat des inquiétudes et des questions qui se posent au sujet de la mondialisation. Ces questions portent sur la place des politiques nationales, sur l'avenir de certains secteurs, sur les menaces portant sur les emplois non-qualifiés comme sur les emplois qualifiés ou sur la répartition des bénéfices. Elle rappelle également que ces questions ont pu se poser lors de la ‘première mondialisation' de la fin du XIXe siècle, et qu'il s'agit d'y répondre cette fois non pas par de vagues généralités théoriques, mais par une approche empirique.
- S. Berger propose un modèle d'analyse dit « d'héritages dynamiques », qui part de l'entreprise et de son histoire propre (son ‘ADN'). En effet, elle accuse les modèles théoriques néoclassiques de réduire l'entreprise à une « boîte noire », cherchant à maximiser son profit de manière neutre et rationnelle. Ce serait selon elle oublier l'environnement radicalement incertain dans lequel elles évoluent et l'impossibilité à prédire ce qu'est « la » bonne décision. Il s'agit donc de partir de l'observation précise des choix des entreprises (réorganisation et délocalisation). Le pari de S. Berger : montrer que ces décisions dépendent moins de la pression concurrentielle mondiale que des ressources (humaines et physiques) qu'ont développées les entreprises au cours de leur histoire.
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La production comme jeu de Lego
- S. Berger rappelle d'abord que la production est devenue de plus en plus modulaire. En effet, elle explique l'évolution des modèles organisationnels de la production et le passage du modèle vertical et intégré (fordiste) à des modèles plus souples reposant moins sur la hiérarchie que sur la confiance, la communication et la coopération. L'aboutissement de ces modèles, combinés aux avancées technologiques et aux contraintes macroéconomique, a été de favoriser la fragmentation de la production en plusieurs modules, où des sous-traitants contractuels peuvent assurer certaines fonctions.
- Cette fragmentation (ou ‘modularisation') pose alors plusieurs défis aux entreprises qui doivent choisir entre plusieurs solutions. Il devient de plus en plus inimaginable qu'une seule structure assure toutes les fonctions de conception, fabrication, marketing et vente comme le faisait Ford. Il devient au contraire indispensable de combiner ses propres ressources avec celles de l'extérieur. La fabrication devient alors un bien qui peut être produit par plusieurs sous-traitants et vendu auprès de plusieurs entreprises qui souhaiteront l'utiliser.
- Ce processus favorise l'innovation et ne contraint donc pas à une convergence des entreprises. En effet, l'innovation est d'autant plus favorisée que les sous-traitants ne sont plus les captifs des commanditaires. Ainsi, l'iPod a vu le jour en une seule année puisque tous les composants existaient déjà : il a alors suffit d'innover quant à la façon de les agencer en un seul produit.  De même, face à la pression concurrentielle, il s'agit de diversifier les produits et les services qui y sont associés.
- Ainsi, la fragmentation de la production permet de créer une entreprise prospère ne gérant qu'une fonction ou que quelques unes. En se procurant ailleurs ce qu'elles faisaient auparavant, les entreprises peuvent se spécialiser sur une seule fonction. De plus, cela favorise l'égalité entre les marques et leurs fournisseurs, ceux-ci devenant de plus en plus indépendants et puissants. S. Berger prend de nombreux exemples empruntés aux secteurs électronique et automobile : à partir des degrés divers de modularisation, elle explicite les choix faits par les entreprises en terme de plus ou moins grande subdivision des fonctions auprès de fournisseurs contractuels.
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Les nouvelles frontières de la production
- Après la réorganisation vient le choix de la délocalisation, aux effets incertains sur l'emploi. L'auteure rappelle que l'essentiel de la sous-traitance se fait au sein d'un même pays, mais que les délocalisations restent un choix possible avec la fin du protectionnisme et les ouvertures politiques (entrée de la Chine à l'OMC en 2001). Il s'agit donc de trouver les facteurs qui encouragent le choix de délocaliser.
- L'une des explications des délocalisations tient dans la formule ‘fabriquez là où vous vendez'. En effet, jusqu'à l'interdiction de cette pratique par l'OMC, certains gouvernements exigeaient que la production se fasse sur le territoire où allait être vendus les produits. Toutefois, les délocalisations permettent de cibler les produits sur un marché national et de toucher les préférences des consommateurs. Elles permettent aussi de trouver de nouvelles ressources quand on a épuisé toutes les possibilités d'expansion dans le cadre national. Enfin, l'auteure rappelle le modèle d'attraction gravitationnel qui encourage la préférence pour les produits nationaux.
- En revanche, l'argument selon lequel délocaliser revient à fabriquer moins cher est très surestimé. Il est vrai que, même si la main-d'œuvre ne représente qu'une faible part des coûts de production, les salaires sont les coûts les plus variables et les plus compressibles. Cependant, il faut vérifier que ces gains ne sont pas compensés par des coûts supplémentaires liés à la délocalisation. Or, ces coûts sont nombreux : coûts politiques liés aux pays où l'on délocalise (instabilité, insécurité, mauvaise image pour la marque, corruption) ; coûts liés au transfert de capital et surtout, coûts liés au différentiel de productivité. En effet, le coût unitaire de travail est plus élevé dans les pays où l'on délocalise en raison des moins grandes efficacités, productivités et qualités. Au final, la course au bas salaire se révèle une stratégie perdante : les gains sont infimes, c'est une fuite en avant (puisque les salaires vont finir par croître partout) et il n'y finalement pas de vraie corrélation entre le coût de la main-d'œuvre et le coût de fabrication.
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Réussir dans un monde modulaire
- Les choix se posent donc entre faire soi-même, faire faire ou acheter aux autres : quelle est la stratégie gagnante ? S. Berger et l'équipe du MIT ont mené une enquête auprès de 500 entreprises dans les domaines de l'électronique, de l'automobile et du textile pour étudier leurs choix, les raisons évoquées et les résultats. Au final, aucune stratégie donnée ne l'emporte et plusieurs choix se révèlent gagnants.
- La force des firmes innovantes ne se trouve pas dans les produits eux-mêmes mais dans leur capacité à assurer certaines fonctions. La différence se fait dans la capacité à combiner différentes fonctions. Même si certaines firmes à intégration verticale restent très performantes (Samsung et Zara qui font presque tout au sein d'une même structure), ce modèle devient de plus en plus rare. L'auteure prend, pour l'illustrer, d'innombrables exemples dans plusieurs secteurs et étudie les stratégies des firmes et des fournisseurs contractuels. Au final, tout le monde peut réussir quelle que soit la position dans la chaîne : marque sans fabrication, fabricant sans marque, design, fabricants de composants, etc.
- Ainsi, plusieurs stratégies peuvent se révéler gagnantes. Par exemple, Dell ne fait rien elle-même à part l'assemblage des différentes pièces de ses ordinateurs (4mn30 en usine). En revanche, sa réussite est due à l'innovation organisationnelle mise en place : les consommateurs choisissent les composants et sont livrés rapidement. L'accent est donc mis sur le marketing et la distribution plus que sur la R&D (1% du budget de Dell). Au contraire, Sony laisse peu de place aux sous-traitants et fait presque tout par elle-même, et ce afin de privilégier la qualité et l'innovation radicale et technologique.
- Mais au final, les firmes qui réussissent ne vendent pas de produit banalisé : l'exemple précédent montre bien que ces entreprises ‘gagnantes' ne font pas que vendre des ordinateurs, elles y associent des caractéristiques (logistique pour Dell, qualité et design pour Sony).
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Fabriquer chez soi où à l'étranger ?
- L'auteure revient ensuite sur les facteurs qui encouragent la sous-traitance à l'étranger et les délocalisations. Le choix se fait souvent entre des économies, réalisées par les délocalisations, et la volonté d'une forme de réactivité à la demande ainsi que d'une rapidité de distribution, possibles au sein d'une structure intégrée sur le territoire national. Et là encore, les stratégies diffèrent et peuvent reposer sur l'héritage propre et les ressources des entreprises. C'est cette interprétation que l'auteur utilise pour expliquer les différences des stratégies américaines et japonaises face à la Chine.
- Mais la sous-traitance et les délocalisations posent des problèmes. Les innombrables coûts liés à la délocalisation ont été évoqués précédemment. D'autre part, certaines compétences restent encore très localisées et il serait coûteux de délocaliser s'il s'agit ensuite de transmettre ces compétences. La coordination entre les différents modules (composants ou fonctions) peut également nécessiter un savoir-faire précis : il devient dans ce cas plus rentable de tout intégrer dans une même structure. Enfin, des problèmes se posent en termes de confidentialité et de technologie : certains sous-traitants peuvent devenir indépendants et concurrencer la maison-mère.
- Quoi qu'il en soit, les structures productives nationales sont étroitement liées avec celles d'autres pays avancés ou en voie de développement. La mondialisation ne passe plus uniquement pas les importations et les exportations. Les produits vendus devraient donc être étiquetés ‘Made in Monde' car c'est le cas de la majorité d'entre eux aujourd'hui. Chacun d'eux reflète une stratégie qui combine en un seul produit fini les forces de sociétés, d'économies et d'individus très divers. Au final, il n'y a pas donc pas de convergence ni de contrainte absolue. Beaucoup de modèles peuvent avoir du succès grâce au jeu de la modularisation et aux changements technologiques et organisationnels.
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Comment réussir dans l'économie globale ?
- Ce sont les compétences qui font la différence et il n'y a donc pas de secteur condamné, juste des stratégies condamnées comme celle de la fuite en avant vers les bas salaires. Un exemple peut être pris ici : celui du chausseur italien Geox qui a innové au niveau de sa technologie (la semelle) et au niveau de son organisation (en combinant l'héritage artisanal local et la modularisation en Asie). Or, le secteur est souvent présenté en déclin et ne pouvant survivre que dans les pays en voie de développement. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres réussites, qui n'ont pas grand rapport avec les caractéristiques du secteur mais avec bien plus avec des compétences uniques qui font la différence (comme Dell et son marketing).
- Il faut revoir les théories qui prédisent la convergence et les stratégies des bas salaires. Les hypothèses de ces modèles néoclassiques sont trop restrictives et ne reflètent plus la réalité : les preuves en sont les prédictions erronées de convergence des prix des facteurs et de spécialisation des pays dans certains secteurs.
- Les gouvernements et les politiques nationales voient leurs rôles redéfinis et conservent une place importante. L'anxiété générale et les doutes persistent, et il faut les affronter. Cela peut se faire par exemple avec une politique nationale généreuse en termes de protection sociale comme alternative au protectionnisme ; par exemple en soutenant l'éducation et la formation pour armer les individus face aux changements d'emplois ; par exemple en investissant pour l'innovation dans un monde devenu modulaire où la nouveauté peut surgir à tous les niveaux. Si l'avenir peut paraître sombre pour certains emplois dans les pays développés, Suzanne Berger prend le parti de l'optimisme et de la foi en l'innovation. Mais il faut pour cela revoir des solutions proposées à tort, comme les subventions agricoles, la réévaluation du yuan ou le maintien, à tout prix, de secteurs obsolètes.
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Commentaire
Ce livre démythifie la mondialisation en donnant la parole à ceux qui la font : les entreprises et leurs stratégies. Mais surtout, il nous présente une vision optimiste du phénomène et parle de ces stratégies en des termes positifs, même s'il en évoque les dangers. Enfin, il a le grand mérite de laisser de côté les théories macroéconomiques globalisantes et les lieux communs pour mieux étudier, comprendre et expliquer ce qui se passe dans le détail.
 
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Pour aller plus loin
Analyse réalisée au premier trimestre 2006 par Désirs d'avenir sur la question de la "mondialisation-alibi"
 
1°) Made in monde : des stratégies différentes
Une intéressante enquête menée pendant cinq ans dans 500 entreprises d'Europe, d'Amérique et d'Asie par une équipe de chercheurs du MIT (Massachusset Institut of Technology) et pilotée par Suzanne Berger (« Made in monde. Les nouvelles frontières de l'économie mondiale ») apporte de précieux éléments de réponse. Elle montre que, dans un même secteur et pour un même type de produits, il existe toujours plusieurs stratégies possibles. La seule référence à la mondialisation ne suffit pas à expliquer pourquoi Dell a fait le choix d'externaliser et de sous-traiter toute la fabrication de ses ordinateurs sauf les 4 minutes et demie d'assemblage final, ne gardant que le contrôle de la définition du produit et de sa distribution, alors que Sony a choisi de continuer à produire la moitié de ses ordinateurs Vaio dans son usine japonaise de Nagano et alors que d'autres groupes conservent sur leurs sites la fabrication des composants et des produits finis.
De même, la mondialisation ne suffit pas à expliquer pourquoi Lacoste sous-traite à l'étranger toute sa fabrication alors que Zara, la firme qui connaît en Europe la croissance la plus rapide, fabrique la majorité de ses vêtements en Espagne et au Portugal. La mondialisation n'explique pas davantage pourquoi les fabricants de lunettes de Taïwan et de Hong Kong ont délocalisé leurs productions en Chine mais pas les lunettiers italiens spécialisés dans les montures haut de gamme, qui représentent 25% du marché mondial tout en continuant à produire dans les usines de Vénétie où les salaires ne sont pas alignés sur ceux des ouvriers chinois.
Ces quelques exemples montrent que la compétitivité, ce n'est pas d'abord et en tout cas jamais uniquement le coût du travail : c'est ce qu'une entreprise offre d'inimitable (la qualité ou l'originalité de ses produits, sa réactivité, son système de distribution, son image...). C'est pourquoi, à côté d'un monde d'entreprises fragmentées fédérées autour de chaînes de valeur déployées d'un bout à l'autre de la planète, il existe aussi, pas moins profitables, des géants intégrés (comme Intel, Motorola, Fujitsu, Siemens, Philips...) qui gardent en leur sein la majorité des activités nécessaires à la fabrication de leurs produits et des réseaux serrés d'entreprises coopératives comme celles du secteur de la laine dans le nord de l'Italie. Aux chefs d'entreprises textiles qui estiment ne pas pouvoir survivre avec un niveau de salaires à l'européenne, d'autres administrent la preuve que, dans le même secteur, c'est possible. A condition d'innover, de rester en phase avec les goûts évolutifs de la clientèle et de tirer intelligemment parti de ses atouts.
L'étude du MIT prend le contre-pied des recettes de management qui négligent l'infinie variété des options possibles. Elle n'adhère pas au pronostic annonciateur d'une uniformisation générale par le bas des salaires et des prix. Elle ne croit pas à l'explication des différences de stratégie par la seule spécificité des capitalismes nationaux et des cultures propres à chaque pays. Elle montre que le plus important pour réussir est la façon dont une entreprise est capable d'activer son « héritage dynamique » en mobilisant et en réagençant de manière optimale les ressources façonnées par son passé (les compétences, les talents, la faculté d'organisation, la mémoire institutionnelle...) et sur lesquelles la société environnante et les pouvoirs publics peuvent, eux aussi, influer.
2°) Refuser la fatalité du moins-disant social
Une des conclusions de cette recherche est qu'une stratégie exclusivement fondée sur le moinsdisant salarial est souvent perdante car le coût unitaire du travail peut se révéler élevé dans les économies à bas salaires (manque d'expérience nécessitant davantage d'encadrement, matières premières gâchées, matériel mal entretenu, turn over, infrastructures défaillantes, corruption, etc.). Certaines fabrications peuvent s'y prêter mieux que d'autres mais aucune logique objective implacable ne conduit à délocaliser : c'est, toujours, le fruit d'un arbitrage entre plusieurs facteurs. Et les victoires peuvent se révéler « dérisoires » lorsqu'elles sont assises sur des gains qui ne sont pas durables et ne tiennent pas compte des risques de se créer une concurrence en transférant technologie et compétences à des partenaires qui peuvent toujours, en dépit des clauses de protection, les utiliser pour leur compte et celui d'autres marques.
Il n'y donc pas de modèle unique d'organisation et pas de motivation standard. Beaucoup de réussites démentent au contraire les représentations courantes. Celle, par exemple, d'American Apparel qui fabrique des tee-shirts à Los Angeles. Celle du dentelier français Solstiss. Celle de Geox, un des plus gros succès italiens dans la période récente, qui a créé, dans une région traditionnellement consacrée à la chaussure et considérée par beaucoup comme un « désavantage compétitif », un produit innovant aujourd'hui vendu dans le monde entier : « la chaussure qui respire » grâce à une semelle qui laisse la transpiration s'échapper. Geox a su profiter de l'expérience accumulée localement par une main d'oeuvre créative ; au fil d'un développement très rapide, l'entreprise a certes orienté une partie de ses fabrications vers la Roumanie et l'Asie mais elle a en même temps développé l'emploi qualifié en Italie où sont restés concentrés la recherchedéveloppement, le design, la logistique et la gestion.
Quelle conclusion en tirer ? D'abord celle-ci : si la France et ses territoires entendent conserver, attirer et développer le maximum d'activités durables, les pouvoirs publics peuvent et doivent contribuer à l'enrichissement de ce « patrimoine dynamique » local que les entreprises intègrent à leurs choix stratégiques. Le niveau de formation, la qualité des infrastructures, les réseaux et les possibilités de coopération locales, l'environnement scientifique et technologique, tout compte et constitue autant de leviers d'une politique de prévention des délocalisations ou de compensation des pertes d'emplois qu'elles entraînent. Il nous faut aussi acquérir une culture de l'anticipation à l'opposé des pratiques du fait accompli qui, chez nous, prennent généralement les salariés et les pouvoirs publics par surprise : c'est la condition pour peser sur les choix, préparer en amont les reconversions nécessaires et mettre en place un accompagnement qui ne laisse personne sur le carreau.
3°) La mondialisation n'exonère pas la puissance publique de sa responsabilité
Olivier Boulba-Olga, qui enseigne à l'Université de Poitiers, arrive à des conclusions voisines dans son livre sur « les nouvelles géographies du capitalisme : comprendre et maîtriser les délocalisations ». Analysant la façon dont les entreprises s'organisent pour produire dans le contexte d'une économie mondialisée, il montre comme elles arbitrent entre les opportunités que leur offre l'éventail désormais très large des possibilités d'implantation. Il décrit les différents acteurs de ces décisions et les logiques, pas forcément rationnelles, qui inspirent leurs choix. Il observe lui aussi qu'il n'existe pas de règle unique de réduction des coûts s'imposant uniformément à tous mais une multitude de facteurs sur lesquels il est possible d'agir. Lui non plus ne décrit pas une économie-monde imposant sa loi d'airain à la planète mais une multitude de « petits mondes » dont le fonctionnement s'inscrit dans des réseaux de relations locales et globales, dans des espaces géographiques et culturels qui ne sont pas neutres.
Cette nouvelle géographie est porteuse de nouvelles inégalités mais elle est aussi réceptive à des actions et des régulations qui portent sur toutes les dimensions des « constructions institutionnelles » intervenant dans les choix économiques des entreprises. Pour lui aussi, l'action est possible mais à une condition : cesser de voir la mondialisation comme un mécanisme ne laissant aucun champ à l'intervention politique.
Sous un autre angle, Patrick Artus ne dit pas autre chose quand il observe que c'est la financiarisation excessive de l'économie et la course à la profitabilité à court terme qui déterminent en Europe l'usage que les entreprises font de la mondialisation : si les actionnaires demandent une rentabilité de 10%, les patrons utiliseront modérément les possibilités d'implantation offertes par la mondialisation ; s'ils leur demandent une rentabilité de 20%, ils en utiliseront davantage et s'ils leur demandent 30%, toutes les usines européennes finiront par fermer.
En d'autres termes, si la mondialisation est un terme commode pour évoquer une dynamique permanente d'extension des échanges planétaires, présente dès l'origine dans le logiciel du capitalisme, et une division internationale du travail qui évolue en permanence, elle ne dicte pas seule les formes et les conséquences de cette mise en relation et en concurrence de tous avec tous.
Les choix politiques et les parti-pris de société peuvent et par conséquent doivent y jouer un rôle actif.
C'est pourquoi il est finalement plus efficient, si l'on veut en anticiper et corriger les effets néfastes, d'aborder la mondialisation comme un mixte de contraintes et d'opportunités qui, certes, expose à des risques nouveaux mais laisse toujours une latitude stratégique. Elle n'exonère donc aucun Etat et aucun gouvernement de sa part de responsabilité dans les désordres et les injustices auxquels les uns laissent le champ libre alors que d'autres savent, ailleurs, y faire efficacement obstacle. La mondialisation ne peut servir d'alibi à aucune démission, à aucun renoncement.


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